John Nash

27 décembre 2005





Un livre de Sylvia Nasar (Rizzoli, 1999) et un film de Ron Howard, tous deux intitulés "A beautiful mind" et ayant eu un grand succès, ont retracé l'étrange histoire de John Nash, le génie qui a lié son nom à une série de résultats obtenus sur une dizaine d'années et publiés dans une dizaine d'articles, récemment réunis par Harold Kuhn et Sylvia Nasar dans "The essential John Nash" (Princeton, 2002). Deux d'entre eux lui ont valu le prix Nobel d'Économie en 1994.


C'est une tragique ironie du sort qu'un homme qui a vécu vingt-cinq ans de déséquilibre, souffrant de schizophrénie paranoïde et se prenant pour l'Empereur de l'Antarctide et le Messie, soit rentré dans l'histoire pour avoir introduit la notion d'équilibre utilisée universellement aujourd'hui dans la Théorie des jeux d'un comportement, c'est-à-dire, qui ne peut pas être amélioré par des actions unilatérales, dans le sens qu'il se serait produit même en connaissant d'avance le comportement de l'adversaire.

Grâce aux bureaux de notre ami commun Harold Kuhn, j'ai pu passer l'après-midi du 13 octobre 2003 avec cet "esprit merveilleux", parler à bâtons rompus des Mathématiques et de la folie, et reparcourir quelques étapes de son singulier parcours scientifique et humain.

Etes-vous est religieux ?

J'ai changé plusieurs fois d'avis, lorsque j'étais mentalement dérangé. On risque de sortir de perdre la raison en pensant trop à la religion, surtout si on fait de la science et on essaie de tenir foi et raison dans compartiments séparés. Une observation élémentaire, cependant, est que les différentes religions sont logiquement incompatibles entre elles : elles ne peuvent donc pas être toutes vraies.

La même chose vaut pour la politique, dont vous avez écrit qu'elle est un inutile gâchis d'énergie intellectuelle.

Je me référais seulement à mon expérience personnelle, influencée par la maladie mentale : j'ai commencé à guérir lorsque j'ai refusé quelques unes de mes illusions dans ce domaine. La politique n'est certainement un gâchis d'énergie pour les politiciens de profession !

Outre Von Neumann, vous avez aussi connu Einstein ici à Princeton.

Lorsque je suis allé chez lui, son assistant - John Kemeny - se tenait toujours silencieux à côté de lui, comme un garde du corps. Einstein rencontrait probablement un tas de fous et avait besoin d'un minimum de protection.

Et de quoi étiez-vous venu lui parler ?

Le déplacement vers le rouge des lignes spectrales des galaxies lointaines, s'interprète d'habitude comme un effet de l'expansion de l'univers. Il m'était venu l'idée qu'on pouvait au contraire l'interpréter comme une perte d'énergie gravitationnelle de la lumière, plus ou moins comme un bateau qui bouge dans l'eau perd de l'énergie en produisant des vagues.

Et Einstein, comment l'a-t-il pris ?

Cela ne lui a pas trop plu, et il m'a dit : "Jeune homme, je crois que cela vous ferait du bien d'étudier encore un peu''. Je ne sais pas si mon idée était une bonne idée, mais certainement par la suite, d'autres l'ont eue également et nous ont écrit à ce sujet.

Vous avez dit aussi que guérir d'une maladie mentale ne donne pas la même joie que guérir d'une maladie physique, parce que la rationalité de la pensée impose une limite à la conception que peut avoir une personne de sa relation avec le cosmos.

Je me voyais comme un grand prophète ou un messie...

Comme Zarathustra ?

J'ai pris cet exemple seulement parce qu'il n'y a pas trop de ses disciples dans le monde. Citer Mahomet pouvait être risqué, en 1994 il y avait le risque d'une fatwa.

Sans parler de Jésus Christ, ensuite.

Il faut être prudent, en certaines choses. Naturellement, Jésus Christ est un exemple typique de pensée illusoire : il y en a beaucoup dans les asiles.

La représentation des voix qui a été faite dans le film vous a-t-elle satisfait ?

C'était une façon de rendre visible et compréhensible ces choses. Il serait difficile le faire de manière scientifiquement soignée, parce qu'on ne peut pas voir dans l'esprit de quelqu'un.

Mais vous, qui avez vu dans le votre, ne pourriez-vous pas écrire à ce sujet ?

Lorsque ce sera le bon moment pour le faire, probablement j'aurai l'Alzheimer et je ne me rappellerai plus ce que je devrais raconter...

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